Intervention de Bruno Gollnisch, Député européen et Conseiller régional – 20 juin 2014
Monsieur le Président,
Il nous est proposé aujourd’hui d’apprécier ce projet de réforme territoriale, réforme mirobolante, engagée sous le prétexte de simplifier le millefeuille administratif, dont c’est vrai, nous avons le triste record mondial, et dont cependant le gouvernement ne cesse de créer de nouvelles couches : communautés urbaines, communautés d’agglomération, contrats de pays, métropoles, etc.
Cette réforme comporte principalement deux volets.
Premièrement, la suppression des Départements, au moins en 2020, en tout cas des conseils départementaux, ex-conseils généraux.
Deuxièmement, la fusion des Régions, pour ne conserver des 22 Régions métropolitaines existantes que 14 méga euro-Régions, à l’instar des Länder allemands. Sauf que, en Allemagne, ces Länder ont un sens conforme à l’histoire du pays : la Bavière, le Bade-Wurtemberg, la Rhénanie, le Brandebourg, la Saxe, etc., ont leur personnalité propre, dans un état fédéral et qui fut composite durant des siècles. En France, en revanche, votre découpage ne correspond à aucune identité culturelle, historique, économique ou autre.
Pendant des années, on nous a vanté les bienfaits de la décentralisation consistant, paraît-il, à rapprocher les décisions des citoyens. Et là, vous voulez priver l’échelon départemental de toute représentation élective. Deuxièmement, vous fusionnez les Régions en méga Régions, au lieu d’en faire à la rigueur de plus petites. On aurait, en effet à la rigueur compris, pas forcément approuvé mais compris, si vous aviez rapproché les Régions des citoyens en faisant à peu près 35 provinces. Par exemple, ici, Rhône-Alpes aurait pu donner naissance à trois entités : le Dauphiné, la Savoie, le Lyonnais, rappelant l’ancien département de Loire et Rhône. Mais non, d’une part, vous supprimez en 2020 l’échelon départemental, mais en plus, vous éloignez encore le centre de décision des citoyens par la création de ces méga euro-Régions. En quoi, par exemple, la décentralisation gagnera-t-elle quoi que ce soit dans le fait que lycées et collèges soient gérés par ces énormes Régions, par rapport à la situation initiale d’autrefois, soi-disant jacobine, qui les faisait gérer autrefois par les recteurs dans le cadre des académies ?
Vous nous rebattez les oreilles de la démocratie participative, mais en réalité, désormais, à partir de 2020, dans les départements il n’y aura plus de démocratie du tout ! Plus d’assemblée élective représentative des citoyens. Tout le pouvoir aux agents du gouvernement, les préfets érigés en maîtres absolus. Même le Second Empire, réputé régime autoritaire, n’avait pas osé supprimer les conseils généraux, et d’ailleurs il n’y avait même pas pensé. Je vous rappelle d’ailleurs que sous la IIIè m e République encore, et je pense jusqu’en 1926 et peut-être même au-delà, il y avait des conseils d’arrondissement élus.
Tout dans cette réforme transpire l’incohérence et l’improvisation. Par exemple, vous n’avez cessé durant des années d’augmenter les compétences des Régions, jusqu’à leur donner une compétence générale. Durant des décennies, nous avons, nous, tenté de façon répétitive, au point de nous lasser nous-mêmes, d’attirer votre attention sur les effets pervers de ce système déréglé où tout le monde s’occupe de tout : chevauchement de compétences, illisibilité, surcoûts, gaspillages. Rien n’y a fait. Et d’un seul coup, vous voulez supprimer cette compétence générale pour y substituer une compétence d’attribution stricte. Bravo ! Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, vous rejoignez au moins sur ce point les analyses du Front National, la lepénisation des esprits est en marche.
En revanche, le découpage proposé, bricolé jusqu’à la dernière minute à l’Élysée, est proprement aberrant. La Picardie fusionnerait avec la Champagne-Ardenne. Ici, nous fusionnerions – le rapprochement, c’est la litote que vous avez utilisée, Monsieur DEBAT – avec l’Auvergne, dont tout nous distingue.
Et quels sont les critères ? M. Noël COMMUNOD, conseiller régional, groupe Europe Écologie Les Verts, nous a vendu la mèche en livrant avant-hier dans un intéressant article, cette confidence d’un vice-président socialiste de notre Région, je cite M. COMMUNOD : « Notre seule chance, pour le PS, de garder la Région Rhône-Alpes, est de l’étendre à l’Auvergne à l’Ouest, et que vous fassiez votre Région Savoie ».
Alors, il va se poser quand même, Monsieur le Président, un certain nombre de problèmes, à commencer par celui du choix des sièges en Rhône-Alpes : c’est à Lyon Confluence, en Auvergne à Clermont-Ferrand ? La capitale de la nouvelle euro méga-Région ne peut évidemment être fixée ni à Lyon ni à Clermont-Ferrand. Faut-il alors logiquement la placer à l’épicentre de la nouvelle et monstrueuse entité ? D’après mes calculs géodésiques, à vérifier, il se trouverait à 4° 3’ 21’’ de longitude Est et à 45° 44’ 6’’ de latitude Nord, c’est-à-dire à Saint-Agathe-la-Bouteresse, paisible village de la Loire, arrondissement de Montbrison, canton de Boën, arrosé par le Lignon. C’est là qu’il nous faut désormais siéger. Vive Sainte-Agathe-la-Bouteresse, nouvelle capitale du royaume des Arvernes et des Burgondes !
Mais que faire alors des sièges actuels flambants neufs comme le nôtre, prévu à 96 millions et arrivé à 150 ? Ouvrons donc un concours et un concours citoyen : une prison modèle, un club de loisirs pour personnes invitées à la contrainte pénale version TAUBIRA? Un foyer Sonacotra ? Un centre d’accueil pour Roms moldo-valaques ?
J’ai d’autres suggestions : un temple inter-obédientiel pour fraternels philosophiques ? Un musée de l’administration locale, à l’instar de ces friches industrielles transformées en musée de la mine ou de la manufacture ? Le même problème se posera d’ailleurs pour votre homologue socialiste d’Auvergne, M. SOUCHON, qui, ironie du sort, inaugure demain en grande pompe le nouveau siège flambant neuf de la Région Auvergne, qui a coûté, lui, 85 millions. Quelle bouffonnerie !
La vérité dans cette affaire, c’est que le gouvernement ne contrôle plus rien en France, ni la situation économique ni la situation financière ni les intérêts stratégiques. Tout cela lui échappe. Il faut faire quelque chose. Il ne reste plus alors que les manipulations sociétales ou administratives. C’est dans cet esprit que M. HOLLANDE prônait l’année dernière le mariage dit « pour tous », sauf pour lui-même, célibataire remarquablement endurci, même si on a remarqué qu’il n’était pas de bois. C’est dans le même esprit qu’il bricole cette réforme dans des conditions de totale improvisation, sans la moindre concertation, car ce qui compte, c’est de montrer à n’importe quel prix qu’il n’est pas conforme à sa réputation d’indécis velléitaire.
Ce projet est cependant moins innocent qu’il n’y paraît, car en réalité, il s’agit bien d’une injonction européenne – vous avez montré le bout de l’oreille, Monsieur DEBAT-, pardon, d’une recommandation, qui figure à la page 5 du document adressé à la France par l’Union européenne le 2 juin dernier. Et que peut refuser le gouvernement français à l’Union européenne aujourd’hui ? Rien ! Vous allez ainsi réaliser le rêve de l’eurocratie mondialiste: n’avoir plus comme interlocuteur les États, les Nations, mais 150 euro-Länder en position docile de quémandeurs de redistribution, au moins partielle, de l’argent prélevé sur leurs habitants.
Bien évidemment que cette réforme ne réalisera aucune économie, ni les 10 ou 15 milliards annoncés à l’esbroufe précédemment, ni 1 milliard, ni même 1 centime, à l’instar de l’intercommunalité où l’on attend toujours les économies d’échelle qui étaient promises. Tout ceci pulvérisera les prévisions parfaitement démagogiques du chef de l’État, faisant miroiter les économies sur les indemnités des élus. La vérité, c’est que les dépenses liées aux élus : indemnités, frais de mission, formation, fonctionnement des groupes, représentent à peine 0,4 % des dépenses de fonctionnement des collectivités locales, soit à peu près 0,2 % du total…
Je termine par une citation que j’espère vous ne désavouerez pas, une citation d’un personnage important : « Aujourd’hui, c’est le Département qui est sur la sellette. Des arguments en termes d’économie sont souvent avancés pour supprimer un échelon. Il ne résiste pas à l’examen dès lors qu’il n’est pas question d’abolir les compétences que cette collectivité exerce. À part diminuer quelques dizaines d’élus, où est l’économie ? Quant à la simplification espérée, elle aboutirait à l’éloignement le plus souvent de nos concitoyens par rapport aux décisions prises, sans effet sur l’efficacité même du service rendu ».
Ce propos est celui d’un certain François HOLLANDE, en clôture des États généraux de la démocratie territoriale, le 5 octobre 2012. C’est à la lecture de textes tels que celui-ci qu’on mesure l’étendue de votre trahison et de vos abandons.
B. Gollnisch (FN) contre la réforme territoriale par FNRhoneAlpes