Monsieur le Président, Monsieur le Vice-Président,
Dans la droite ligne de vos orientations budgétaires du mois d’octobre, vous nous proposez un budget 2012 « volontaire et responsable ». M. DEBAT vient de nous le répéter à l’envi. Ce sont vos mots : « volontarisme et responsabilité » seront à la manoeuvre en 2012. Il y a un an, en décembre 2010, au rapport portant sur le budget primitif 2011, vous nous avez proposé un budget « offensif et maîtrisé ». Ce sont aussi vos mots. Je pense que vous vous en souvenez. Vous avez d’ailleurs inclus dans la présentation que vous venez de faire l’adjectif « offensif ». Vous avez repris l’offensif de 2011 pour l’inclure dans le 2012. Ce n’est pas dans l’écrit, c’est à l’oral.
Les années se suivent, les qualificatifs changent. Chacun appréciera cette évolution sémantique, essaiera de comprendre, si possible, ce qu’il y a derrière les mots. Par exemple, faut-il comprendre que si le budget 2012 est volontaire et responsable, c’est justement parce qu’il n’est plus ni offensif, ni maîtrisé ? C’est peut-être une explication. Je ne sais.
Heureusement, derrière les mots, il y a les chiffres, et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ces chiffres traduisent pour nous la réalité d’un budget qui n’est ni volontaire, ni responsable, notamment au regard de la crise majeure que nous traversons, mais un budget que je qualifierais de velléitaire et d’irresponsable. J’y reviendrai. Bien sûr, chacun des groupes politiques fera sa propre lecture de ce budget, jouera sa propre partition comme d’habitude en fonction de ses propres intérêts.
En ce qui nous concerne, notre petite musique est toujours différente, et vous le savez. Elle est fondamentalement différente parce que nous ne sommes guidés ni par un intérêt partisan, ni par un intérêt d’arrangement de partis dans cette collectivité, ni par une somme d’intérêts particuliers. Notre seule boussole, qui guide nos décisions, est l’intérêt de la France et des Français d’abord, et ici, à Lyon, c’est l’intérêt de Rhône-Alpes et des Rhônalpins d’abord.
Au crible de ce juge de paix, lorsqu’on considère l’état de délabrement de nos institutions, de notre économie, des conditions de vie de nos concitoyens, la progression de la pauvreté ─ puisque c’est vous qui en parlez, et c’est vrai ─ l’état de l’emploi salarié, le spectre de la crise qui enfle et poursuit ses effets dévastateurs, alors nous ne pouvons pas être sur la même longueur d’ondes que vous.
Monsieur le Président, je vais rentrer dans le concret pour vous donner le jugement que nous portons sur votre budget.
Je vais peut-être d’abord, pour quelques instants seulement, vous faire plaisir en vous rejoignant dans l’analyse introductive.
Premièrement, vous avez effectivement annoncé un budget primitif de 2,44 Md€, contre 2,42 Md€ pour l’année dernière, c’est-à-dire qu’après l’inflexion modeste de 1,5 % de 2010 sur 2011 pour le budget primitif qui nous était proposé pour 2011, on est pratiquement avec un budget étale pour une troisième année consécutive.
C’est effectivement une stabilité financière qui est très rare dans une collectivité territoriale, voire même rarissime. Je pense qu’elle doit être soulignée et saluée. Je pense d’ailleurs que c’est cette stabilité dans tous les ratios qui fait que la note Triple A a été confirmée par Fitch.
Deuxièmement, y a-t-il, Monsieur le Président, comme vous le dites, un contexte contraint pour les finances régionales du fait des arbitrages gouvernementaux successifs ? À l’évidence, oui, et le nier serait totalement absurde.
Troisièmement, y a-t-il, Monsieur le Président, comme vous le dites, la volonté de l’État de réduire la marge de manoeuvre fiscale et l’autonomie fiscale des régions ? On a largement abordé le sujet hier. À l’évidence, encore oui, et oser dire le contraire serait stupide ou sarkozyste, ce qui est à peu près la même chose.
En revanche, là où nous différons d’avec vous, c’est bien sur les raisons politiques de ce constat que nous partageons et elles sont au nombre de trois.
La première raison tient à la nature même de l’État UMP. Je l’avais déjà souligné l’année dernière, lorsque l’État UMP a en face de lui des collectivités régionales qui, toutes sauf une, sont en opposition politique et affirment vouloir s’ériger en contre-pouvoir et démontrer
qu’elles savent mieux faire que l’État ce qu’il leur revient de faire, l’État siffle bien naturellement la fin de la récréation en appliquant le fameux adage : « Qui paye commande. » L’État reprend la main, redistribue les cartes. Gageons d’ailleurs qu’en situation symétrique (un gouvernement de gauche et des collectivités régionales de droite), l’État socialiste ferait exactement la même chose.
La deuxième raison tient à la nature même de l’État. C’est la nature de l’État républicain et c’est dans son désir constant, dans ses gènes, de centraliser sans cesse ou de recentraliser ce qui a pu, au fil du temps, s’éparpiller. Toujours avoir la main est le principe même de fonctionnement de la République française, déjà si parfaitement décrit par Charles MAURRAS il y a un siècle : « Le Jacobinisme règne plus que jamais et n’admet pas de contre-pouvoir. » C’est aussi simple que cela et vous le savez tous très bien.
La troisième raison est qu’il n’y a plus de sous dans les caisses, nulle part, à commencer dans les caisses de l’État bien sûr, cet État dont M. FILLON disait, il y a bientôt quatre ans, qu’il était en situation de quasi-faillite, et depuis quatre ans, on a rajouté 500 milliards à l’endettement de la France. C’est cette réalité qui vous conduit à une certaine prudence et à cette modération budgétaire que j’ai signalée.
La crise de l’Euro, la crise de l’Europe, est avant tout la crise de confiance majeure que vit notre pays par peur d’un avenir totalement incertain. La peur de l’avenir, qu’elle soit individuelle ou collective, est aussi la peur de l’endettement individuel ou collectif. Cette peur vous conduit à un deuxième effort de modération que je souligne, à savoir la baisse, certes légère, de 8 M€ de l’emprunt d’équilibre inscrit. Un petit pas dans une bonne direction.
J’en ai terminé avec ces éléments introductifs parce que l’analyse des chiffres, pour nous, est beaucoup plus cruelle. Ex abrupto, très objectivement, ce BP 2012 est, au pouillème près, le même budget que le précédent. Contrairement à ce que vous dites en page 1, il est un simple budget de reconduction, au pouillème près.
Nous y retrouvons d’ailleurs exactement et toujours vos fondamentaux qui sont au nombre de quatre :
– un budget dans lequel le fonctionnement ponctionne désormais, et c’est constant, pratiquement 70 % du total. 70 % pour le fonctionnement, 30 % donc pour l’investissement ;
– une situation de fait communément admise par tous de l’obligation récurrente d’emprunter pour équilibrer un budget. Même si la crise que nous vivons marque la fin de l’emprunt facile et sans limites, tant mieux ! Tant mieux qu’il soit plus difficile d’avoir recours au crédit. C’est ce que vivent toutes les entreprises, toutes les PME. Évidemment, vous vous étonnez en disant : « Comment cela se fait-il ? C’est la première année que nous n’avons pu avoir, de la part des banques, les concours auxquels nous pouvons prétendre. » C’est la situation constante des entreprises, des PME. Quand elles n’ont pas les crédits qu’elles souhaitent pour assurer leur croissance ou leurs investissements, on reporte l’investissement et éventuellement la croissance. Pour une collectivité de gauche, je comprends que ce soit une équation difficilement possible ;
– un budget dans lequel est inscrit, année après année, la création de dizaines de postes supplémentaires au tableau des effectifs. La crise ? Mais quelle crise ?
– un budget dans lequel 20 % du total ─ 20 % de 2,44 Md€, c’est pratiquement 500 M€ ─ servent au financement de politiques hors compétences centrales régionales, 500 M€ que vous ne voulez pas diminuer. La crise ? Mais quelle crise ?
Ce sont les fondamentaux socialistes d’un budget socialiste.
Parvenu à ce constat de budget primitif 2012, simple photocopie du budget primitif 2011, je me suis par hasard plongé dans un BP beaucoup plus ancien que j’ai retrouvé exhumé lors de fouilles archéologiques de mes archives, à savoir le budget primitif de 1987. Je l’ai là. Je vous le prêterai, Monsieur le Président, mais j’y tiens. Comme quoi, il est intéressant d’avoir une mémoire papier.
Il y a donc 25 ans d’écart. Même si 25 ans nous séparent, 25 budgets votés sous différentes majorités, je dois reconnaître avoir été frappé par ce que j’y ai trouvé, et je vais vous en parler.
J’ai trois chiffres, si vous le voulez bien, pour vous expliquer, Monsieur le Président. Le budget lui-même de 1987 : 280 M€. 2012 : 2,44 Md€. En 25 ans, le budget de la Région a été multiplié par 9. Cela peut déjà faire réfléchir quelques-uns.
Quand je vois qu’on a multiplié par 9 le budget en 25 ans, je me dis qu’en 1987, j’ai peut-être la mémoire défaillante, mais les Rhônalpins devaient mourir de faim dans les rues. Ils devaient être frappés par des grandes épidémies (les écrouelles, la peste, le scorbut) ! On devait vivre dans des bidonvilles à cette époque !
Chacun pourra d’ailleurs attester ici qu’en 25 ans, son pouvoir d’achat personnel a bien été multiplié par 9, mis à part peut-être le vôtre, Monsieur le Président. Je doute quand même.
Je vous donne un autre chiffre. La charge annuelle de la dette 1987 : 16 Md€ d’euros. Charge de la dette au BP 2012 : 154 Md€. On a multiplié par 9,5. Le budget est multiplié par 9 et la charge de la dette est multipliée par 9,5. Il n’y a pas une grosse différence.
L’emprunt d’équilibre 1987 : 42 M€, soit 15 % du budget.
Charges de l’emprunt d’équilibre 2012 : 392 M€, soit 16 % du budget. On a, dans ces grandes masses, une structure de budget 1987 qui est à peu près identique à celle du budget de 2012, à 25 ans de distance. Peut-être que cela ne vous fait pas réagir. Cela me fait réagir. Je trouve cela assez étonnant. J’ai été frappé par cela parce que pendant 25 ans, même si je ne suis pas là depuis 25 ans, que n’a-t-on pas entendu sur les dérives budgétaires de votre Exécutif et, quand vous étiez dans l’opposition, sur les dérives budgétaires de l’équipage de M. MILLON !
En termes mathématiques, nous avons des budgets qu’on peut qualifier d’homothétiques, et pourtant, il y a une grosse différence entre votre majorité d’aujourd’hui et la majorité MILLON-BERAUDIER de 1987.
La grande différence, et ce sera ma conclusion, est qu’il y a un changement de clientèle évidemment attributaire des subventions de notre collectivité. Je crois que c’est finalement la seule raison de l’affrontement théâtral qui a lieu ici toutes les années à cette époque, entre la vraie gauche que vous incarnez et la pseudo-droite qui est dans mon dos. C’est l’enjeu de la captation des subventions régionales, avec cette part désormais écrasante des frais de fonctionnement et ces fameux 500 M€ qui ne sont aucunement obligatoires.
« Budget responsable » avez-vous dit, Monsieur le Président. Parfois, je me demande si les mots ont pour tous le même sens. Je vous remercie.