Intervention de Bruno Gollnisch – 24 février 2011
Rapport n° 11.03.100
Monsieur le Président,
Ce qui me gêne dans le rapport que vous nous soumettez est que, plus qu’une stratégie, il est surtout du domaine du constat.
Le premier constat que vous faites, qui est d’ailleurs exact, est le suivant (je le cite au mot près) : le niveau régional s’est déjà imposé comme l’échelon territorial pertinent pour définir les enjeux stratégiques de l’enseignement supérieur. C’est vrai que le niveau régional s’est imposé petit à petit, l’initiative en revenait à votre prédécesseur, M. Millon, et j’avais essayé d’attirer l’attention sur le fait qu’il y avait un risque assez considérable qu’à l’engagement de la Région succède le désengagement progressif de l’État. Il est certain que la Région paraît être l’interlocuteur naturel des universités, plus que celui des Lycées, puisque, entre la construction et l’entretien d’un collège dévolus au Département, la construction et l’entretien d’un lycée, il y a peut-être une différence de degré, il n’y a aucune différence de nature et il est extrêmement regrettable que les lois de décentralisation mal conçues aient conduit à multiplier le nombre d’administrations qui, en plus des rectorats, doivent s’occuper de l’enseignement secondaire, alors que, comme vous le rappelez dans votre rapport, l’enseignement supérieur est resté très largement une activité hors des compétences régionales. 777 millions d’euros pour l’enseignement supérieur et la recherche, c’est 40 % du budget des interventions de la Région, mais du budget, comme vous le rappelez dans votre rapport, de ses interventions hors compétence.
Ma critique essentielle porte sur le fait que, en premier lieu, il n’y a pas dans votre rapport d’analyse vraiment fouillée de la relation État-Région, qu’en deuxième lieu vous me paraissez privilégier le quantitatif au détriment du qualitatif, en troisième lieu privilégier le déclaratif, voire quelquefois l’incantatoire sur le concret.
En premier lieu, pas d’analyse de l’impact de l’engagement de la Région sur le désengagement de l’État, je viens de l’évoquer. Certes, les engagements de l’État sont de 225 millions d’euros dans le contrat de projet État-Région, ceux de la Région sont passés à 237, ceux des autres collectivités locales à 152, alors on peut tout de même se poser la question et on devrait se la poser : à quoi cela sert-il que la Région s’engage chaque jour davantage si l’État en profite pour se désengager ? D’ailleurs, l’État se désengage-t-il vraiment ? Ce serait une question extrêmement importante qu’il conviendrait d’étudier à fond.
Vous avez décidé dans ce document du principe d’un soutien de 255 millions d’euros à l’ensemble des campus, mais, comme il a été dit en commission, ce qu’il faudrait exactement déterminer, plus que cet engagement assez vague sur des autorisations de programme, qui dépendent naturellement pour leur importance de la durée des autorisations en question, c’est quelles sont les sommes qui seront effectivement mandatées chaque année en crédits de paiement. Je ne suis pas systématiquement hostile aux campus et le groupe Front National n’y est pas systématiquement hostile, mais il faut rappeler que, pour beaucoup, le campus est un concept américain, qui suppose pour fonctionner à plein que la vie non seulement des étudiants, mais aussi du corps enseignant, et d’ailleurs beaucoup d’activités annexes, se produise sur place, ce qui n’a jamais pu s’imposer dans la société française. Le concept français était en effet radicalement différent, il était celui d’une université dans la ville.
Dans cette mesure, les campus son bien souvent en réalité des dortoirs ou des espaces où, certes un certain enseignement est donné, mais ils écartent les étudiants du tissu urbain dans lequel peut-être ils pourraient plus facilement s’insérer. La chambre d’étudiant est peut-être aussi digne d’attention, la chambre chez l’habitant ou la chambre en ville est aussi digne d’attention que le logement en cité universitaire, cité universitaire extrêmement dégradée. Je crains que l’on n’ait pas fait le bilan du déracinement auquel ont conduit certaines politiques de campus, à commencer par le premier d’entre eux que j’ai bien connu, c’est-à-dire le campus de Nanterre et du bouillon de culture qui en a résulté, qui a donné lieu aux événements de mai 68. Comme vous le savez, il y a d’autres formules que le campus.
Vous déplorez, s’agissant enfin des relations entre la Région et l’État, la disparition possible de la clause de compétence générale. Je crois que ce n’est pas du tout le problème, je crois que, à la limite, on pourrait tout à fait se contenter d’une clause d’attribution de compétence à la Région, mais qui précise clairement ce qui est dû par la Région et les ressources dont elle disposera.
Deuxième point : peu d’analyse des effets qualitatifs des politiques publiques que vous menez. Vous insistez sur les aspects quantitatifs et ils sont impressionnants : 240 000 étudiants en Rhône-Alpes, 8 universités, 30 grandes écoles, 40 instituts de formation sanitaire et sociale, mais quels sont ensuite les délais ? Quels sont ensuite les niveaux concrets d’insertion dans la vie active ? Comment évoluent-ils ? C’est ce qu’il serait intéressant de savoir. Or, la Région dépense des sommes considérables pour l’évaluation de ses politiques, mais nous ne disposons à ce jour, à ma connaissance du moins, d’aucun rapport précis sur cette question pourtant fondamentale. L’augmentation considérable de la durée des études, spécialement ces dernières années avec la réforme LMD, est souvent trop souvent confondue avec l’augmentation du niveau des compétences ou des possibilités de débouchés professionnels. Le nombre de décrochage en cours d’étude ne vous a pas échappé, j’ai bien entendu ce qu’a dit notre collègue, M. Safar, tout à l’heure. Vous dites vouloir y remédier mais vous restez dans le vague : orientation des lycéens, réorientation en cours d’étude, tutorat. Ce sont des choses que l’on entend depuis 20 ans et qui ne se sont jamais traduites à ce jour par de véritables politiques concrètes.
L’augmentation du nombre d’étudiants, on peut le craindre, débouche souvent vers des filières qui sont des parkings à chômeurs. Le CESER a, dans son rapport, et M. Lacroix l’a mentionné tout à l’heure, fait état de l’insuffisance encore aujourd’hui, en dépit d’efforts louables, des relations de l’université avec le monde professionnel. C’est que, souvent, on oriente les étudiants ou plutôt on les laisse s’engager dans des filières dont ils peuvent croire légitimement qu’elles conduisent à des débouchés, puisque la République finance cet enseignement, fournit les professeurs, les locaux, les matériels, mais qui en réalité n’en
comportent pas. Il est un seul domaine où l’on est véritablement restrictif et sélectif et, par une véritable politique de gribouille, on l’est à l’excès, c’est le domaine des études médicales avec le numerus clausus, qui règle depuis des années et qui a pour résultat qu’il devient difficile aujourd’hui de trouver par exemple des obstétriciens, qu’il faut des semaines, voire des mois d’attente pour un rendez-vous dans certaines spécialités, que ce scandale se déroule chaque année, que des étudiants par millier, qui ont la vocation de devenir médecin, qui ont travaillé leur première année d’arrache-pied, qui ont obtenu des notes supérieures et parfois même très supérieures à la moyenne, sont recalés en nombre à peu près égal à celui des médecins étrangers qui sont, dans le même temps, titularisés chez nous, bien souvent honorables, mais originaires de pays du tiers-monde qui auraient le plus grand besoin de les conserver chez eux pour l’amélioration de leur système sanitaire et social.
Enfin, j’évoquerai le manque d’analyse de l’impact réel des politiques régionales. Un seul exemple : vous nous dites que les centres de Valence, Bourg-en-Bresse et Roanne drainent 3,5 % des étudiants. C’est peu. Dans ces conditions, il est à craindre que la priorité accordée aux pôles de Lyon et de Grenoble les pénalise encore. Vous nous parlez
de la mobilité internationale, c’est sans doute dans son principe une excellente chose, mais s’est-on véritablement préoccupé en amont du point de savoir si les étudiants par exemple parlent la langue ou connaissent ne serait-ce de façon sommaire la langue du pays dans lequel ils vont séjourner ? Ni ce qu’ils en retirent ? Ont-ils les compétences ? En aval, que se passe-t-il après ? Est-ce que ces séjours à l’étranger sont véritablement utiles à la Région, utiles au moins à la collectivité nationale ? Encouragent-ils au contraire une fuite des cerveaux dont on commence à voir les effets délétères auprès des plus brillants de nos diplômés ? Vous nous dites seulement à ce sujet que la mobilité des étudiants demeurera une priorité forte de la Région. C’est un peu court.
Évoquons brièvement la mise en relation d’organismes. Il y a beaucoup d’organismes et, même dans votre majorité, M. Philip vient de reconnaître que l’accumulation d’organismes chargés des mêmes thèmes rend la gestion plutôt opaque. Je crois le citer à peu près au mot près. Il y a un véritable jargon, les clusters de recherche, les pôles d’excellence, mais je me demande ce qu’est un pôle qui n’est pas d’excellence. Tout le monde veut être d’excellence et, très justement, l’orateur précédent a dit qu’il faudrait quand même définir ce que l’on entend par excellence. Estce que cela veut dire que, à côté des pôles d’excellence, il y a des pôles de médiocrité ? M. Lacroix, dans son intervention au nom du CESER, a mentionné la faiblesse des exportations régionales en direction des pays émergeant, cela en réalité est lié directement à la question des débouchés, qui devrait orienter nos efforts en matière de formation et de recherche. L’excellence ne se décrète pas.
Je voudrais répondre à l’interpellation malicieuse, et je suis gentil, de M. Friedenberg, qui a caricaturé outrageusement, mais une fois n’est pas coutume, les positions du Front National en prétendant que, selon le Front National, la recherche ne pouvait se faire valablement que chez soi. Je découvre ceci avec stupéfaction et je me demande où vous avez bien pu tirer cela. Non, le Front National sait que, surtout dans les conditions de la recherche modernes, les laboratoires ne sont pas inutiles, des mises en relation de clusters si vous voulez, disons des réseaux, des grappes de laboratoire ou d’organismes. En revanche, Monsieur Friedenberg ne méprisez pas la recherche individuelle. C’est en restant chez soi et plus précisément dans sa baignoire qu’Archimède a découvert le principe de la dynamique des fluides ; c’est en restant chez soi et plus particulièrement en faisant la sieste sous son pommier que Newton a découvert les lois de la gravité universelle ; c’est en restant chez lui et notamment par la chute d’un morceau de fromage issu de son sandwich sur son microscope que Fleming a découvert la pénicilline et les antibiotiques ; c’est de sa lucarne que Copernic a découvert le système héliocentrique qui a encore cours en matière d’astronomie ; c’est dans son arrière-garage que l’étudiant Steve Jones a bricolé son premier micro-ordinateur. Par conséquent, il ne suffit pas de mettre tout le monde en réseau, de dépenser beaucoup d’argent dans des laboratoires, il faut des chercheurs sans doute, mais il faut aussi des chercheurs qui trouvent, qui en aient la volonté, le pouvoir et dont les recherches soient utiles non seulement au développement matériel de la société, mais aussi à ces perfectionnements moraux. Le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas toujours le cas.
Je vous remercie.