Intervention d’Hugues Petit – 22 octobre 2009
Rapports n° 09.12.651 et 09.12.655
Chers collègues,
Il y a, dans ce rapport, une proposition qui reçoit notre assentiment : c’est la dénonciation de la suppression progressive de la fiscalité régionale. C’est un des rares points vrais dans ce rapport. La seule chose, c’est que, dans ce rapport, nous aurions bien aimé qu’on rajoute que ce mouvement n’était pas d’aujourd’hui. Nous savons ici, les uns et les autres, qu’en l’an 2000, par exemple, on a supprimé la part régionale de la taxe d’habitation. En 2000, Monsieur Queyranne, qui était Premier ministre ? N’était-ce pas votre ami Jospin ? Et vous-même, en l’an 2000, Monsieur Queyranne, que faisiez vous ? N’étiez-vous pas vous-même ministre du gouvernement Jospin ? Et aujourd’hui, vous expliquez benoîtement que c’est un grand tort de supprimer la part régionale des impôts locaux alors que vous avez fait, en votre temps, la même chose.
Et aujourd’hui, vous nous dites qu’on ne compense pas quand on prend des impôts aux Régions. C’est vrai, mais c’était déjà vrai en l’an 2000. Rappelez-vous d’ailleurs comment vous avez procédé à cette époque. Vous vous grattez l’oreille, je vois que mes propos vous ennuient !
Rappelez-vous comment vous avez procédé. La justice aurait voulu qu’en fonction de la population ou du potentiel fiscal, il y ait des transferts de la part de l’État. Pas du tout. On a transféré en fonction du niveau d’imposition. Autrement dit, les Régions les plus fiscalistes, comme vos amis du Nord, ont touché le jackpot, et les moins fiscalistes, comme nous, ont été réduites à la portion congrue.
Vous nous dites aujourd’hui qu’il faut compenser un euro pour un euro mais, à l’époque, avez-vous compensé un franc pour un franc ? Je crois bien me souvenir que c’était 95 %. C’est à peu près ce que fait l’État aujourd’hui. Vous êtes donc mal placés pour donner aujourd’hui des leçons. Vous êtes d’autant plus mal placés que non seulement c’est le ministre qui est coupable, mais aussi le président de Conseil Régional, car on peut reprocher à l’État de reprendre aux Régions ce pouvoir fiscal qu’il leur avait donné, mais les Régions se sont-elles bien comportées avec ce pouvoir qu’on leur avait donné ? Vous-mêmes, depuis que vous êtes là, la fiscalité directe a augmenté de 41 % ; les cartes grises de 54 % ; quant à la dette, elle a explosé : vous empruntez cette année qui vient 68 % de plus que l’on empruntait avant votre arrivée. Le résultat est qu’avant votre arrivée, fin 2003, nous étions à 600 millions d’emprunt ; nous sommes aujourd’hui à 1,6 milliard d’emprunt.
Cela nous rendrait presque sympathique l’État car, si les différentes Régions se comportent ainsi avec l’argent du contribuable, si elles se montrent aussi irresponsables, il faut peut-être bien leur enlever le pouvoir fiscal qu’on leur avait donné. Les emprunts d’aujourd’hui sont les impôts de demain. Tôt ou tard, il faudra payer.
Pour notre part, notre philosophie politique est simple. Nous pensons que l’impôt tue l’impôt et, d’ailleurs, votre rapport le démontre puisque vous nous dites benoîtement que le produit des cartes grises a tendance à diminuer, de même que la TIPP. Comment s’en étonner ? Vous taxez de plus en plus les automobilistes, quand ils achètent une voiture, quand ils passent à la pompe. Donc, ils achètent moins de voitures et ils passent moins souvent à la pompe. Vous nous expliquez ensuite que tous ces prélèvements sont justifiés par le fait que vous faites monts et merveilles. Comme toujours, le « mont » se mesure à la dépense : 37 % de plus pour l’enseignement, 26 % de plus pour les transports, 159 % de plus pour la formation professionnelle, ce sont les chiffres de la page 14. Mais si l’on regarde la réalité, est-ce qu’on circule mieux en Rhône-Alpes ? Évidemment non. Il y a plus de trains, c’est vrai, mais ils sont moins ponctuels.
Il y a plus de transports en commun, mais beaucoup plus de grèves ; plus de voyageurs mais plus d’insécurité. Vous mettez de plus en plus d’argent dans les lycées, est-ce que le niveau monte ? Évidemment non. Quand tous ces lycéens arrivent à l’université, on voit bien leur niveau. Cela n’a jamais été si difficile de réussir : regardez, même un fils de président de la République a toutes les peines du monde à réussir une première et une deuxième année de droit.
Plus d’argent pour la formation professionnelle. Y a-t-il plus d’emplois à la sortie ? Évidemment non. D’ailleurs, vous nous dites perpétuellement qu’il n’y a pas d’emplois pour les jeunes. Vous avez multiplié par deux le budget de la culture. Pour faire du beau ? Non. Pour faire plus laid, plus mauvais goût ; en un mot, pour faire moins de culture. Vous mettez deux fois plus d’argent, le résultat est deux fois pire. Il n’était déjà – je vous le concède – pas très brillant avant votre arrivée.
Alors, quand on fait le bilan de tout cela – parce que, Monsieur Queyranne, il y a six ans, c’était l’heure des promesses, aujourd’hui, c’est l’heure des comptes –, vous prélevez beaucoup trop, beaucoup plus, vous avez creusé le déficit de la Région au-delà du raisonnable, pourquoi ? Imaginez un Rhônalpin qui serait parti en 2004 et qui reviendrait en 2010, il verrait deux nouvelles choses : un nouveau logo, un nouveau siège. Voilà tout ce que vous avez changé, mais convenez avec nous que cela a coûté bien cher.
Et puis vous essayez de vous dédouaner en disant : « Cette année, je n’augmente pas les impôts. » Oui, vous faites comme les petits copains : on prélève, on prélève de plus en plus et, quand les élections arrivent, on arrête la dernière année, cela fait bien pendant la campagne électorale. En mars, ce seront les élections. Après mars, c’est pareil : un coup de barre et ça repart, comme le prouve d’ailleurs la politique de vos amis. On peut les prendre à peu près tous, vos petits copains :
– à Lyon, M. Collomb, un autre ancien collègue, +6 % ; les élections passées, cela repart ;
– il y a une ville que vous connaissez bien, Villeurbanne. Ce n’est plus vous. Vous connaissez Mme Guillemot : + 6 %. Dont acte. Elle est socialiste tout de même. Quand on montre la Lune à un imbécile, l’imbécile regarde le doigt, c’est bien connu ;
– Saint-Étienne, M. Vincent : vous concéderez qu’il est socialiste aussi, + 7, 5 ;
– à Grenoble, M. Destot : on le connaît bien ici, en particulier M. Safar. Sauf erreur, c’est son premier adjoint. + 9 %, je l’ai vu sur mon avis d’imposition.
– quelqu’un, ici, connaît bien le maire de Bourg-en-Bresse, c’est M. Debat car, sauf erreur, M. Debat est en même temps viceprésident des finances et maire de Bourg-en-Bresse : + 8 %.
Tout cela, c’est de l’alourdissement à l’état brut – c’est le cas de le dire – de la pression fiscale, puisque ce sont les taux qui jouent en plus de l’effet de base.
Voilà donc ce que vous avez fait pendant ces six années, voilà le résultat, et vous avez le front de nous expliquer que tout cela, c’est la faute de l’État. Mais si on regarde vos propres chiffres, on voit, par exemple page 9, que le déficit de l’État, c’est 52 millions d’euros. Or, si on fait le différentiel depuis que vous êtes arrivés, c’est 210 millions d’euros. Sauf erreur, cela fait quatre fois plus. Je veux bien admettre la responsabilité de l’État pour un quart, vous êtes responsables pour les trois quarts.
Un dernier mot, tout de même, pour M. Hamelin. M. Hamelin vient toujours jouer les vierges effarouchées et nous expliquer qu’on augmente trop les impôts et les emprunts. Il nous a dit, il y a quelques minutes, que vous aviez, Monsieur Queyranne, mis en Rhône-Alpes la troisième carte grise de France en coût. Je lui rappelle que M. Millon, qui n’est peut-être pas de ses amis, mais qui est tout de même de sa famille politique, nous avait valu le triste privilège d’avoir la carte grise la plus chère de France. Nous n’étions pas n°3, nous n’avions pas la médaille de bronze, nous avions la médaille d’or. Il nous dit que, pendant six ans, vous avez augmenté de 41 % les impôts. 41 % en six ans, c’est mal. Mais M. Millon les a augmentés de 60 % en une nuit.
Voici bientôt 23 ans que je suis ici – encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, voilà au moins une bonne nouvelle ! –, ce qui me frappe, c’est la parfaite interchangeabilité de vos discours. Je me suis pris à plusieurs reprises à fermer les yeux en écoutant les uns et les autres, je me disais : « Tiens, M. Avocat dit ce que dirait M. Hamelin si, d’aventure, l’État était de la couleur politique inverse », et inversement. Les uns et les autres, vous êtes parfaitement interchangeables.
C’est pour cela que le problème de la Région – et j’en finis par là –, ce n’est pas de changer les discours : chacun peut mesurer leur insincérité ; ce n’est pas de changer les hommes, chacun peut mesurer leur interchangeabilité. Ce qu’il faudrait enfin, c’est changer de politique.
(Hugues Petit était Conseiller régional jusqu’en 2010, réd.)