Reconnaître, valoriser, promouvoir l’occitan et le franco-provençal, langues régionales de Rhône-Alpes

Intervention de  Bruno Gollnisch – 9 juillet 2009

Rapport n° 09.11.450

Le rapport que vous nous proposez est a priori extrêmement sympathique, il comporte d’ailleurs des passages intéressants et même intellectuellement honnêtes, je pense en particulier à l’exposé que vous faites et au rappel bienvenu de la haine que vos grands ancêtres, je parle en particulier pour mes collègues de Gauche, avaient des langues particulières quand Barrère à la Convention s’écrie : “Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton, l’émigration et la haine de la République parlent allemand, la contre-révolution parle italien et le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de dommage et d’erreur.” Ou les propositions de l’Abbé Grégoire tendant à anéantir les patois et à universaliser l’usage de la langue française, l’Abbé Grégoire que vous avez cependant récemment fait entrer au Panthéon.
La démarche que vous avez est une démarche sympathique, surtout s’il s’agit d’une démarche patrimoniale. Nous y souscrirons. Tout ce qui est du domaine de la recherche linguistique, de la conservation, de la tradition, “identité”, “tradition”, “enracinement”, on dirait parfois, à vous lire, que la réaction est en marche et d’une certaine façon je ne serai pas le dernier m’en réjouir.

Cependant votre démarche est artificielle.

D’abord parce que les langues auxquelles vous faites référence sont hélas en grande partie des langues mortes. Les efforts de vos prédécesseurs ont réussi, ces langues ont pratiquement disparu faute de locuteurs, elles sont confinées au monde rural et à une population souvent âgée. Elles ne disposent pas de vocabulaire moderne et technique. Des langues beaucoup plus enracinées dans leur territoire comme l’arabe en Afrique du Nord ont exactement le même problème.

Madame Noir, Madame Ory, Madame Condemine ont exprimé des craintes parfaitement légitimes.

Artificielle, votre démarche l’est aussi parce que vous nous proposez un kaléidoscope de mesures extraordinairement ambitieuses sans le moindre effort de chiffrement de vos propositions, parfois raisonnables mais souvent, hélas, délirantes.

Artificielle enfin parce que ces langues n’ont malheureuses pas d’unité. L’occitan n’est pas seulement le provençal, illustré, c’est vrai, par Mistral, par le Félibrige, célébré par Maurras, le provençal n’est pas le gascon qui n’est pas le parler du Limousin, et la reconstitution d’un occitan uniforme est une reconstitution artificielle.

De la même façon qu’en Bretagne, le parler du Trégorois n’est pas celui du Bigouden ni du Léonard, que le dialecte alsacien de Strasbourg – et je sais particulièrement de quoi je parle – n’est pas celui de Mulhouse, d’Altkirch ni de Haguenau.

Si le franco-provençal parlé en France, mais aussi en Italie et en Suisse, a aujourd’hui du mal à survivre, c’est qu’aucun de ces dialectes n’a pris de véritable importance. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Mme Henriette Walter, professeur de linguistique à l’Université de Haute Bretagne, directrice du laboratoire de phonologie à l’École pratique de Hautes Études dans son livre passionnant L’aventure des langues en Occident.

Que vous le vouliez ou non, l’imprimerie de la langue écrite dans un premier temps, avec son corollaire l’uniformisation des règles d’orthographe et de grammaire, a unifié la langue d’oïl. Rien de cela malheureusement ne s’est produit pour les langues dont vous parlez.

La radio, la télévision ont accentué ce phénomène d’unification qui paradoxalement aujourd’hui est une condition du maintien de la diversité. Car, mes chers collègues, vous ne l’avez pas sans doute réalisé, mais la véritable langue régionale dont il convient d’assurer la défense, c’est le français ! Le français n’est plus une langue internationale de premier plan, il n’est plus la langue diplomatique qu’il était, il n’est pratiquement plus une langue scientifique.

Dans ma spécialité, le droit international, lorsque j’ai commencé mes études il existait des revues entièrement en français. La revue grecque, la revue hellénique de droit international était en français, de même que la revue polonaise, la revue égyptienne, la revue roumaine. Aujourd’hui c’est fini. Je pense qu’il en est de même dans toutes les disciplines scientifiques, biologiques, des sciences sociales ou autres.

Le français aujourd’hui est battu en brèche par l’anglais, mais il est aussi moins parlé – je ne comparerai même pas au chinois, au russe, à l’hindi ou à l’espagnol – que l’indonésien, que le bengali ou que le telugu.
Alors commençons par le commencement, commençons par demander à M. Rocard de ne pas scandaliser ses collègues du Parlement européen italiens francophones et francophiles en s’exprimant en anglais devant la commission à laquelle il appartenait.

Pire, compte tenu de la dégradation de notre système éducatif, le français est une langue imperméable aujourd’hui même à beaucoup de petits Français. Le niveau du baccalauréat, tout le monde le sait, chacun en convient en privé, personne ne le reconnaît en public, est sensiblement inférieur à celui du certificat d’études primaires d’avant la première guerre mondiale. Oui, c’est vrai.

J’ai été doyen d’une faculté linguistique où l’on enseignait 27 langues étrangères, il y en avait pour beaucoup d’étudiants, pourtant disponibles, intelligents, travailleurs, désireux de se faire une place au soleil, une vingt-huitième qui était le français.

Monsieur Deschamps, vous nous avez donné des assurances selon lesquelles le programme que vous nous proposez ne porte pas atteinte au français, mais en réalité, le temps, l’énergie, l’intelligence des jeunes comme des moins jeunes sont des quantités limitées, et ce qu’ils donneront à l’étude ou à la pratique artificielle d’une de ces langues régionales sera en réalité enlevé à la connaissance du français.

Si vous voulez vraiment favoriser l’accès à ces langues, l’occitan et le franco-provençal, encouragez l’étude du latin, toutes ces langues sont des variétés du bas latin. Le latin a été pour moi la clef qui m’a permis d’accéder à la lecture sans difficulté de l’espagnol et de l’italien, à la compréhension et à la pratique orale et écrite du portugais, à la compréhension partielle du roumain, et il m’a été utile jusque dans l’étude du japonais.

En encourageant l’étude du latin, vous rejoindrez une tradition bimillénaire dans le domaine de l’histoire, de la philosophie, du droit. Une tradition depuis plus de 20 siècles puisque Descartes et Leibniz, autant en philosophie qu’en sciences, écrivaient encore dans cette langue.

Nous avons cherché dans les huit propositions que vous nous proposez celles qui pouvaient trouver grâce à nos yeux. Leur caractère imprécis, réaliste et parfois même pervers en ce sens que l’on a parfois l’impression que vous voulez détricoter la France, nous conduit malheureusement à ne pouvoir en accepter aucune.

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